Télétravail : quels impacts sur les travailleurs et les étudiants ? ​

Télétravail : quels impacts sur les travailleurs et les étudiants ?

Danièle Linhart, directrice de recherche au CNRS (Centre de recherche en sociologie et politique de Paris) et sociologue spécialisée dans la modernisation du travail et de l’emploi, a répondu à nos questions au sujet du télétravail et de son impact sur le monde professionnel ainsi que sur les stages des étudiants. Elle mène actuellement une enquête sur les conditions des stages en période Covid auprès de nos étudiants M2, en stage depuis janvier 2021.

 

Danièle Linhart

On entend souvent parler des effets néfastes du travail à la maison sur les travailleurs.
Pourtant, vous parlez dans vos interviews des avantages de ce mode de travail. Selon
vous, comment est-ce que le télétravail change cela ?

Lors des sondages du premier confinement, un grand nombre de travailleurs manifestait une
réelle satisfaction envers le télétravail. Cette satisfaction est expliquée par un sentiment de
protection comparés aux travailleurs essentiels. Ils étaient surtout satisfaits d’être à l’abri du
danger que représente le virus qui les attendait dehors, dans les transports en commun et sur les lieux de travail.

Il y a aussi un sentiment de fuir le lieu de travail qui pouvait être nuisible pour ceux qui
souffraient au travail ou faisaient des burn out. Une souffrance due au harcèlement
institutionnel et à la concurrence entre salariés, souvent causés par de nouvelles méthodes
managériales de primes individualisées et d’évaluations personnalisées. Après tout : “on n’est
jamais aussi bien que chez soi”.

Maintenant que l’on s’est adapté au télétravail, certains trouvent qu’il n’est donc plus
nécessaire de se déplacer pour le travail. Pensez-vous que l’on sortira un jour de ce
mode vie, puisque certains de ses adeptes souhaitent continuer à l’appliquer ?

Il faut savoir que cette première vague de contentement par rapport au télétravail n’a pas duré.
Avec le temps, est apparue une insatisfaction grandissante des télétravailleurs qui
demandaient à retourner au moins quelques jours par semaine en présentiel car ils ne se
sentaient pas bien toute la semaine chez eux.

Deux raisons expliquent ce mal-être venu progressivement. Tout d’abord, la dimension
taylorienne du travail n’a pas changé, même à la maison. Les protocoles, les modalités et la
surveillance des supérieurs pour assurer un travail rentable sont même exacerbés. Or, c’est aussi cette dimension qui rendait les gens malheureux.

De plus, le travail permet de s’inscrire dans la société à travers la rencontre de différentes
personnes (collègues, clients, supérieurs etc). On se rend compte à quel point il est douloureux
d’être coupé des autres. Il y a une dématérialisation du côté réel du travail qui relève
maintenant de la fiction. Les télétravailleurs se sentent souvent isolés ou abandonnés.
Pour ces multiples raisons, Il est déconseillé à l’avenir de revenir au télétravail.

En parlant de surveillance, en ce qui concerne les étudiants en stage en télétravail,
pensez-vous qu’il est possible d’assurer la qualité de l’apprentissage professionnel
dans un stage 100% en télétravail ?

Effectivement, la capacité d’un tuteur d’être présent pour introduire le stagiaire dans les
meilleures conditions possibles pose un réel problème. Le stagiaire entre dans un univers
totalement nouveau pour lui dont il doit comprendre la culture et comment gagner sa place. Il
va donc chercher la personne qui va l’aider, le soutenir ou simplement le renseigner. En
présentiel, on interagit avec les autres, on peut donc s’adapter et chercher les informations.
Quand il n’y a personne, c’est une catastrophe. C’est une question de savoir si on peut faire
un stage dans ces conditions surréalistes.

Il est en tout cas important de mettre à disposition une personne qui sera disponible pour
répondre aux questions du stagiaire ; que ce soit en visioconférence ou au téléphone, tous les
jours ou 2 fois par jour. Si cette condition est mise en place, cela peut faciliter les choses pour
le stagiaire.

Comment, à votre avis, peut-on garder une vie privée lorsque notre espace
professionnel déborde sur notre espace personnel ?

Aujourd’hui, le bureau n’est plus seulement le bureau. Dans le management moderne, il y a
déjà une fusion entre la vie privée et la vie professionnelle. Il existe maintenant des ‘chief
happiness officers’ qui sont là pour votre bonheur et donnent des conseils tels que ce qu’il faut
manger et des bracelets pour vérifier le nombre d’heures de sommeil pour le bien-être des
salariés. Dans certaines entreprises, les RH envoient des bouquets de fleurs aux compagnes
des salariés qui restent tard le soir afin de manifester leur soutien.

Les dimensions intimes, affectives et émotionnelles sont mobilisées sur le lieu de travail. Comme je le dis dans mon livre La comédie humaine du travail sous-titré “Sur-humanisation” (ndlr : éditions ères, 2015, prix de l’Ecrit Social), les directions veulent faire croire que votre vrai lieu de vie c’est le travail.

Travailler à la maison mélange donc les deux côtés comme c’était déjà le cas au bureau.

Dans ce contexte sanitaire difficile, nous parlons souvent des difficultés de chacun
socialement et professionnellement, pourtant nous remarquons que les étudiants sont
très oubliés, comment expliquez-vous cela ?

Les pouvoirs publics se préoccupent beaucoup des étudiants. Les médecins, les psychologues et les psychiatres soulignent le fait que les étudiants traversent une période extrêmement difficile. Nombreux sont en dépression et en dessous du seuil de pauvreté par manque de travail, en plus d’être mal logés et confinés dans des situations très difficiles. On en parle.

Beaucoup de mes collègues enseignants sont vraiment effarés par les difficultés psychologiques que traversent les étudiants. Ils appellent leurs étudiants pour montrer qu’ils
sont présents, abordent les malheurs des étudiants et la difficulté de transmettre leurs
connaissances par visioconférence. On perd aussi pas mal d’étudiants, pourtant excellents,
comme les étudiants étrangers qui sont retournés dans leurs pays car ils n’en peuvent plus.

Donc, on en parle mais on n’a pas de solution. Le gouvernement essaie de mettre des
solutions financières en place mais c’est encore un vrai problème. Ce qu’il faudrait est de sortir
de cette pandémie.

Quels conseils avez-vous pour les étudiants pour s’en sortir dans de telles situations ?

Il faut essayer de socialiser, dans la mesure du possible. Ils peuvent se voir dans un open space ou un appartement en portant un masque. Essayez de travailler ensemble dans une bibliothèque.

On ne peut pas rester tout seul car c’est stressant. Essayez de sortir un peu, de voir vos amis ou vos familles, tout en respectant les gestes barrières. Faites de votre mieux.

Merci encore une fois à Madame Linhart d’avoir répondu à nos questions. Son dernier
ouvrage “L’insoutenable subordination des salariés” (ed ères, 2021) est publié cette année.

Nos camarades étudiants, gardez la forme, et si besoin, les chef(fe)s de projet du master M2i sont là pour vous.

Cet article a été rédigé par :                                     

Aichata Keita

Aichata Keita

Cheffe de projet Carrières
(M1 M2i 2020-2021)

Ya-Hsin Teng

Ya-Hsin Teng

Cheffe de projet Carrières
(M1 M2i 2020-2021)

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